
Photo: montage AG&C
1- Lorsque des violences sont exercées contre la troupe et qu'elle ne peut y faire face autrement, lorsque notre ministre de tutelle indique clairement qu'un bon élément ne fait pas usage de son arme, va-t-on vers une étude du droit de retrait pour les gendarmes?
L'emploi de la force et l'usage des armes restent des prérogatives dont disposent la police et la gendarmerie et qui sont strictement encadrées par la loi. Elles doivent être correctement exercées, tant dans la lettre que dans l'esprit. J'y suis très attentif, car c'est ce respect du droit et des règles déontologiques qui fonde notre légitimité. L'IGGN y veille particulièrement. Mais je suis également très attentif à éviter toute remise en cause de ces prérogatives qui sont nécessaires à la garantie de la sécurité de nos personnels comme de celle de nos concitoyens. Je ne vois, actuellement, aucune remise en cause dans ce domaine. En effet, je rappelle que la récente loi sur la réforme pénale consacre au contraire un nouveau droit d'usage des armes, en cas «d'absolue nécessité», contre quelqu'un qui vient de commettre ou tenter de commettre un meurtre et qui s'apprête à recommencer.
Il n'est donc aucunement question de restreindre l'emploi de la force légitime et strictement nécessaire.
En ce qui concerne le droit de retrait, celui-ci ne concerne pas la gendarmerie - pas plus que la police, la sécurité civile, les douanes ou l'administration pénitentiaire - pour les missions opérationnelles. Cela ne serait ni raisonnable, ni concevable, et une révision du droit en vigueur n'est pas à l'ordre du jour.
2- Vous avez accompagné le ministre de l'intérieur de l'époque à PIERREFEU DU VAR suite à l'assassinat de deux gendarmes féminins à COLLOBRIERES (17 juin 2012). Quelles ont été, après ce drame et d'après vous, les mesures qui ont été prises pour améliorer l'intervention des patrouilles de brigades de gendarmerie ? Que pensez-vous de la généralisation des patrouilles à trois militaires pour les premiers à marcher ?
L'intervention des premiers à marcher est effectivement un des points les plus délicats des missions des unités territoriales. Les militaires de brigade peuvent alors être confrontés directement, souvent sans signe avant-coureur, à un déchaînement de violence extrême. Ce fut hélas le cas à Collobrières. Cela se produit également dans une moindre mesure au quotidien, avec des conséquences moins dramatiques. C'est potentiellement aussi le cas dans le cadre de la réaction immédiate à un acte de terrorisme, où nos brigades sont « primo-engagées », comme en témoigne l'intervention de deux gendarmes de la BT de Dammartin en Goële, en janvier 2015, dont l'action a été déterminante pour fixer les frères Kouachi.
En ce qui concerne les patrouilles à trois, elle sont déjà mises en œuvre dans certains secteurs particulièrement sensibles. Pour des raisons liées à l'organisation des unités et aux effectifs, une généralisation est difficile. Il faut donc mettre en œuvre les patrouilles à trois chaque fois que c'est possible mais il faut chercher aussi d'autres réponses : ce sont les équipements de protection, c'est l'entraînement de nos personnels pour faire face à ce type de situation.
Le sujet du format des patrouilles peut donc se poser pour des unités qui sont, de façon régulière voire systématique, confrontées à des phénomènes de rébellion ou de prise à partie physique. C'est une évaluation à conduire localement et au cas par cas, les situations pouvant être très diverses au sein d'un même groupement.
Par ailleurs, nous travaillons sur le renforcement des effectifs des unités en facilitant l'emploi de réservistes fidélisés ou, comme cela a été annoncé dans le cadre des conclusions du GT Brigade, en prolongeant la réforme de notre organisation pour privilégier le modèle des BTA ou des COB à deux unités. Ce sont les seuls leviers durables dont nous disposons et qui permettront aux commandants d'unités de « muscler » les patrouilles sans fragiliser l'activité des unités.
Nous avons ensuite tiré les enseignements de ce drame en appuyant la manœuvre des militaires de brigade :
- par le déploiement du module SIP/BDSP, qui permet de préciser le renseignement lors de l'appel au CORG. Cette base de données est en pleine montée en puissance, l'effort doit être maintenu pour l'enrichir car elle concourt directement à la sécurité des primo-intervenants,
- par la mise en œuvre de nouveaux moyens technologiques, comme la bulle tactique et NEOGEND. Ils influent tous deux directement sur nos modes d'actions opérationnels et nous devons, désormais, veiller à les mettre pleinement à profit ;
- par la dotation d'équipements de protection et d'intervention (diffuseurs lacrymogène grande capacité, PIE, pistolets-mitrailleurs, et maintenant gilets lourds) qui sont pour une très large part d'ores et déjà déployés dans les unités ;
- par un renforcement de la formation individuelle et collective en IP, avec la création des AMIP et une formation tactique renforcée en école et au SNFEO.
3- Mon Général, vous êtes le DGGN qui a le plus incarné cette fonction, votre parcours parlant pour vous. A l'aube d'une échéance politique majeure, comprenez-vous les craintes de la base si vous étiez amené à quitter ces fonctions ou si un civil venait à accéder à ces fonctions ?
Je souhaite revenir avant tout sur la première partie de votre question. Les généraux de gendarmerie qui m'ont précédé dans ce poste ont tout autant que moi incarné leur fonction, et ce n'est pas faire preuve de fausse modestie que de le rappeler. Ils sont passés avec succès par tous les postes de commandement que peut offrir la gendarmerie. Leurs parcours exemplaires, au plus haut niveau, dans des périodes sociales ou politiques parfois très difficiles, témoignent en ce sens.
D'autre part, je suis confiant sur les atouts de la gendarmerie, qui est désormais parfaitement positionnée et bien reconnue. Elle est, on le sait, forte d'une longue histoire. Elle est surtout parfaitement adaptée à la situation que nous vivons et parfaitement adaptable à celles que nous vivrons demain. Son schéma territorial, qui fait sa force, permet aux unités de monter rapidement en puissance, de contrôler les flux comme la profondeur des territoires, d'être appuyées autant que de besoin par des moyens spéciaux, souvent de haute technicité. Son statut militaire assure sa disponibilité, son sens de l'engagement, son respect des valeurs. Enfin, la grande qualité de ses personnels lui permet d'envisager l'avenir avec optimisme et confiance.
Pour toutes ces raisons, je sais que nous n'avons aucune crainte à avoir et que la pérennité de l'institution s'inscrit dans sa nature même. Pour ces mêmes raisons, je sais que l'autorité politique fait confiance à la gendarmerie et à ses chefs. Le ministre de l'Intérieur nous en a donné une nouvelle preuve, en annonçant qu'il proposera le général de corps d'armée Richard Lizurey pour me succéder en septembre prochain.
4- Mon Général, vous occupez les fonctions de DGGN depuis plusieurs années maintenant, quel est le plus grand chantier que vous avez accompli au sein de notre Institution et les défis qu'il vous reste à mettre en œuvre ?
Comme vous vous en doutez, je suis particulièrement attentif aux résultats obtenus dans le cadre de la Feuille de Route, qui a permis de fédérer toute la gendarmerie autour d'un projet commun de modernisation, mais qui a surtout contribuer à changer les mentalités. Les personnels, militaires et civils, de tous grades, ont à présent à l'esprit que rien n'est immuable, rien n'est figé, rien n'est inéluctable, à condition d'en avoir la volonté. Nous avons ensemble accompli de grandes avancées dans ce domaine, à tel point que d'autres administrations ont souhaité s'inspirer de notre méthode ! Dans cette lignée, nous avons utilisé les mêmes ressorts pour le GT brigade, ce qui a permis là aussi de retenir des mesures fortes en un temps contraint.
Je suis heureux également des avancées effectuées dans le domaine de la concertation : nous avons effectivement beaucoup progressé, à la fois en interne avec l’élection des membres du CFMG, comme en externe avec la signature d'une charte avec la plupart des associations proches de la gendarmerie.
C'est en suivant cette voie de l'action, de la participation, de la mobilisation des volontés et des intelligences que la gendarmerie parviendra à relever les défis qui se présentent à elle.
Je reste ainsi pleinement mobilisé, avec l'ensemble de la DGGN, sur la transition numérique que nous ne pouvons pas manquer, ainsi que sur la question préoccupante de l'immobilier.
5- Mon général, depuis votre prise de poste, l'évolution des associations et notamment leur transformation en APNM a été très rapide. Quel est votre regard précis sur les associations et particulièrement les APNM ? Pensez-vous qu'elles puissent trouver pleinement leur place dans la concertation en gendarmerie, sans être cantonnée à un rôle purement consultatif ? Un DG peut-il être adhérent selon vous ?
Tout d'abord, je rappelle que pour le moment, le cadre réglementaire de l'action des APNM n'est pas fixé. Nous sommes encore en phase de découverte mutuelle : c'est un moment très intéressant. Je dirais que les APNM seront ce que les militaires en feront. Elles pourront jouer un rôle significatif au niveau national en tant que force de proposition.
En ce qui concerne la gendarmerie, nous avons un modèle de concertation intégré à la chaîne hiérarchique : à chaque échelon de commandement correspond un ou plusieurs militaires chargés par leurs pairs, via une élection, de les représenter.
Ce modèle m'apparaît comme efficace, il sera renforcé dès la rentrée par un CFMG élu pour la première fois.
Dans ce contexte, rien d'interdit bien sûr à un représentant des IRP d'appartenir à une APNM, mais les APNM n'ont pas vocation à jouer un rôle local en doublon de la chaîne de concertation.
Quant à savoir si on peut envisager un DGGN membre d'une APNM, la réponse est induite par la multiplicité de celles-ci. Rien ne l'interdit formellement, mais l'impartialité nécessaire pour pouvoir sainement travailler avec toutes les associations la contre-indique fortement. Quoiqu'il en soit, le DGGN est en contact permanent avec les APNM : je sais leur mobilisation et leur attachement à notre maison. C'est pourquoi je rencontre régulièrement leurs représentants, c'est pourquoi j'ai nommé un délégué au dialogue social. La charte que nous avons signée ensemble donne un cadre solide à nos relations, institue un point de contact dédié : les APNM sont d'ores et déjà totalement associées à la vie de la gendarmerie.
Informations : Questions rédigées par des gendarmes en activité, membres de AG&C et validées par le conseil d'administration sur le principe de "la base s'adresse directement au Directeur Général". Nous remercions le Directeur Général de nous avoir répondu avec tout le sérieux que nous lui connaissons, et de nous accorder sa première interview depuis l'annonce de son départ.
Cette interview devait initialement paraître dans notre magazine de juin, mais suite à différents événements (euro 2016, manifestations, réunion de commandement du 21 avec l'annonce de départ du DG...) sa transmission a tardé.
Nous nous expliquerons plus précisément dans le prochain magazine, afin de développer ce nouveau processus.
Le conseil d'administration