Selon la circulaire 24000 relative aux sanctions disciplinaires applicables aux militaires les jours d’arrêts se doivent d’être une mesure restrictive de liberté ou infamante... A toutes fins utiles et pour planter le décor, selon le « Larousse illustré », « infamante » est défini de la manière suivante : qui déshonore, qui nuit à la réputation de quelqu’un. Ce mot, gravé dans le marbre des textes qui nous régissent, remet en perspective le sacro-saint « renom de l’Arme » si cher à certains dirigeants de notre institution. Quand, pour préserver ce principe séculaire, on n’hésite pas à appliquer des sanctions visant à déconsidérer et à nuire à la réputation d’un de ses serviteurs, le fameux renom de l’Arme en prend un sacré coup... Quelle autre institution sanctionne-t-elle ses serviteurs en les humiliant ? C’est par cette ligne de conduite disciplinaire que sont exécutés les jours d’arrêts, visant à restreindre les libertés.
Avant toute chose, nous rappelons qu’il n’est pas question, de stigmatiser les raisons de sanctionner un gendarme ayant fauté. Chaque gendarme s’étant exposé à une sanction disciplinaire justifiée se doit d’assumer son erreur dans le respect de l’institution et dans la dignité. S'il juge la punition inadaptée, il peut exercer un recours dans le délai de deux mois à compter de sa date de notification. Assumer sa faute emporte-il l'acceptation d'une peine de restriction de liberté, une astreinte à résidence sans décision de justice ? En 2016, dans le pays des droits de l’homme, dans une institution se revendiquant « force humaine », la réponse est forcément non !
Les conditions de l’application des jours d’arrêts sont très claires : Si le militaire sanctionné effectue son service dans des conditions normales, tout en continuant de bénéficier de ses quartiers-libres et repos hebdomadaires, il lui est strictement interdit de quitter le domicile imposé, en dehors du service. Si le puni doit sortir de l’enceinte militaire en dehors du service, pour des raisons privées, cela ne peut être qu’à titre exceptionnel et avec l’aimable autorisation du commandant de compagnie. Il faut un accord hiérarchique pour exercer la plus simple des libertés, aller et venir pour des raisons privées en dehors du cercle professionnel ! Il n’est pas certain que les 26 millions de travailleurs Français apprécieraient de se voir emprisonner chez eux par leurs employeurs... Pourtant, certains gendarmes valident ce processus infamant lorsqu’il s’agit de commenter les potentielles sanctions que des camarades auraient eu à subir. La justification alambiquée qui consiste à affirmer qu’il vaut mieux prendre dix jours d’arrêts pour un véhicule de service endommagé plutôt que d’assumer la réparation pécuniaire, n'est décidément pas crédible. Dans ce cas, c’est vite oublier que les jours d’arrêts sont une sanction du 1er groupe et que la réparation pécuniaire est listée dans le 2ème groupe, le débat n’a donc pas lieu d’être, ce groupe étant intermédiaire entre le 1er et le 3ème, bien plus répressif la sanction n'est plus du tout la même. Les jours d’arrêts constituent également une sanction pour l’épouse, le mari, les enfants, les familles. Les visites au domicile concédé sont strictement encadrées. Par exemple, sauf avec autorisation exceptionnelle du commandant de compagnie, souverain, il est interdit de fêter à la maison l’anniversaire d’un des enfants du gendarme sanctionné en recevant les copains et les copines accompagnés de leurs parents. Seuls les parents, l’épouse ou le mari et les enfants sont autorisés à visiter le « condamné ».
Toute la stupidité de ce système se concrétise dans un cas bien particulier, de plus en plus banal, tant les services des ressources humaines sont déconnectées des réalités -des régions plus que d’autres-, en cas de célibat géographique ! Qui n’a pas vécu ce quotidien, parfois tout un long d’une carrière, d’exécuter son service à bonne distance du domicile de sa famille ? Il n’y a pas vingt ans, la solde d’un(e) gendarme suffisait à nourrir une famille. Le pouvoir d’achat de ce dernier ayant réduit de plus d’un tiers ces dernières années, il est devenu vital d’avoir une seconde source de revenus, occasionnant au passage, un éclatement géographique de la famille. Si ce n’est pas particulier aux gendarmes, l’amplitude horaire de ceux-ci, le temps d’astreinte et le logement imposé provoquent des difficultés rarement égalées dans d’autres secteurs d’activité. C’est ici que la sanction des jours d’arrêts atteint son apogée. Un gendarme en célibat géographique sanctionné de plusieurs jours d’arrêts est proprement « incarcéré » dans son logement concédé par nécessité de service et ne peut, dans la période précédemment définie, se rendre auprès de sa famille. Seule celle-ci, avec un ou une conjointe travaillant aussi, avec des enfants scolarisés, peuvent rendre visite au « prisonnier ». Pire, dans certains cas, et au bon vouloir du tout omnipotent commandant de compagnie, il peut être imposé au gendarme puni de pointer chaque matin et chaque soir à la brigade locale de son lieu de résidence. Le commandement peut aussi désigner un camarade qui aura autorité pour lui rendre visite dans son logement de service et vérifier si la sanction est respectée scrupuleusement.
Récapitulons ! En France, en 2016, un citoyen ne peut se voir assigné à résidence, interdit d’aller et venir, interdit d’entrer en relation avec un autre citoyen que si une décision de justice est intervenue définitivement et après qu'un procès équitable, défendu par un avocat, se soit prononcé. Osons le parallèle, en France, en 2016, un multirécidiviste maintes fois condamné et soumis au bracelet électronique peut librement circuler, se rendre dans un lieu de culte, un lieu public, prendre en otage d’autres citoyens et égorger un prêtre.
Face à tout cela, en France, en 2016, un serviteur de la loi, un gendarme, sur simple décision militaire et dans le cadre de son emploi, peut être empêché de quitter son logement de service. On lui interdit de voir sa famille éloignée, laquelle n'a d'autres solutions que de lui rendre visite comme un vulgaire détenu au parloir.
Heureusement, face à ce mauvais tableau, pâle copie de pratiques d’un autre temps, le plus grand nombre de nos commandants de compagnies savent appliquer la sanction avec humanité, et en dehors de quelques camarades dénonciateurs des allées et venues du militaire puni, il n’est pas imposé stricto sensu les mesures de la circulaire 24000. Malgré tout, quelques bastions médiévaux tiennent le siège à la raison et à la peine juste ! Certains barons locaux jouissent par cette circulaire de pouvoirs supérieurs à l'instar d'un procureur ou d’un juge. Il faut enfin en finir avec ces régressions !
La Direction Générale doit, à l’image de ce qu’elle a impulsé depuis plusieurs années, en terme d'amélioration de la condition des gendarmes et de leur famille, réduire les jours d’arrêts à ce qu’ils sont devenus aujourd’hui dans la plupart des cas, à savoir, une simple sanction administrative, une tâche d’encre dans le parcours professionnel, simplement une remontrance pour un écart de conduite en somme !
(L'illustration est un montage photo)