Depuis deux jours, cette réflexion fait écho à l'affirmation de la ministre des armées selon laquelle la « Gendarmerie a pris l’initiative de transposer à sa manière cette directive, ce qui est dommageable, pour ce qui concerne la disponibilité des forces dont dispose la Gendarmerie, et ce qui est malheureusement dommageable pour le reste des forces armées, puisque cela créé une sorte de précédent dont nous ne souhaitons surtout pas l’extension. » Entendue par les sénateurs en commission de la défense le 7 novembre 2017, Florence Parly, à travers cette observation lapidaire, a montré toute son ignorance quant au fonctionnement de la plus vieille institution de sécurité civile à essence militaire dont la France assume la paternité dans le monde.
Il semble donc judicieusement nécessaire de rappeler un certain nombre de principes afin que les poncifs déclinés par la ministre ne prennent valeur de vérité devant un parterre d'élus censés fabriquer la Loi.
La Gendarmerie Nationale est l'une des plus vieilles institutions régaliennes de la France. Son savoir faire et sa capacité d'adaptation ont été reconnus au cours des siècles et bien que son nom ait changé en 1791, même la révolution française et les transformations de la vie publique n'ont pas eu raison de son fonctionnement au service du citoyen. Le statut militaire de ses personnels n'a jamais été remis en cause pour assurer une continuité et une disponibilité dans les actions entreprises au quotidien. Avec le détachement pour emploi au ministère de l'intérieur en 2003, puis son rattachement à ce ministère, ses missions au profit quasi essentiellement des autorités civiles ont été reconnues et sacralisées. Les quelques unités qui sont encore détachées pour emploi auprès du ministère des armées ne représentent que quelques décimales de pourcentage de missions à caractère essentiellement militaire. Le budget de la Gendarmerie est inscrit dans celui du ministère de l'intérieur, aux côtés de la Police Nationale et de la Protection Civile. La plupart des textes appliqués à la Police Nationale le sont également à la Gendarmerie. Les missions qui lui sont confiées sont complètement différentes de celles qui sont affectées aux militaires des autres armées.
Si la « militarité » des personnels de la Gendarmerie a été réaffirmée par les différents chefs d'état et de gouvernement, elle n'a pas, pour autant, vocation à faire travailler les gendarmes au delà du supportable en matière de repos physiologique. Est-il encore utile de rappeler que lorsqu'il est en service, un gendarme est disponible et rappelable 24/24 heures. Il est donc naturel, voire vital pour sa santé physique et morale qu'il puisse bénéficier d'un temps de repos entre deux missions toutes aussi longues qu'exigeantes. Les propos de la ministre des armées sont révélateurs de sa méconnaissance de l'organisation d'une Arme qui n'appartient pas à son secteur de compétence. Une petite piqûre de rappel est donc impérative pour qu'elle comprenne les différences sur lesquelles se fondent chaque corps. Il faut espérer que cela arrive dans son cabinet. Les militaires des Armées de l'Air, de la Marine et de Terre concourent essentiellement à la défense du Pays sur des théâtres d'opérations extérieures. Et sauf les quelques milliers qui depuis quelques mois participent sur le territoire français à la « mission sentinelle », les 260.000 soldats s’entraînent et maintiennent en condition les matériels, en attendant au fond de leur caserne qu'ils soient déployés pour défendre la nation, en cas de conflit. Ce n'est pas une pique malicieuse, c'est un fait. Et cela est constitutif de l'essence même d'une armée. En temps de paix, on se prépare à la guerre et cette fameuse disponibilité en tous lieux et en tous temps des militaires peut supposer que les soldats bénéficient d'une vie normale, comme tout citoyen. Ce qui est le cas actuellement et fort heureusement. En temps de paix, la Gendarmerie est quand même employée - oserait-on écrire sur-employée ? - « pour la sécurité au quotidien » de ses concitoyens. Elle est soumise à un régime de travail qui ne souffre d'aucune discontinuité dans le service. Et au contraire des militaires, dont les casernes tournent à effectifs réduits certains jours de la semaine, ou sont carrément fermées et gardées par des employés civils, les gendarmes assurent un service de qualité et en nombre, les 365 jours que compte une année.
Il est donc intellectuellement spécieux d'opposer deux types de missions pour des personnels possédant le même statut. Et par conséquent de reprocher à la Direction Générale de la Gendarmerie de se préoccuper de ses personnels qui font la guerre au quotidien à toutes les formes de délinquance et répondent à toutes les sollicitations sans aucune interruption, sur la quasi totalité du territoire national. La crainte que la transposition partielle de la directive européenne qui a été mise en place par la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale crée un précédent dans le ministère des armées est totalement infondée. Elle repose sur un postulat qui ne prend pas en compte toutes les facettes d'un métier destiné à sauvegarder la sécurité publique. Le gendarme est attaché à ce statut militaire qui prend ses racines au moyen-âge. Il a su s’approprier les évolutions de la société et a toujours démontré ses capacités d'adaptation, dans tous les domaines. L'application intelligente d'une directive communautaire qui s'appuie sur une considération basique en matière de récupération physique -11 heures de repos sur une journée de travail- en est la preuve éminente. D'autant qu'en cas de troubles graves, des garde-fous ont été érigés pour qu'aucune rupture dans le service ne puisse être envisageable. Ceci rend encore plus prégnant le caractère militaire du statut du gendarme.
Madame PARLY serait bien inspirée de consulter son conseiller spécial pour la Gendarmerie et qu'elle puisse enfin apprécier les fondements des principes d'exécution du service de la Gendarmerie Nationale. Le ministre de l'intérieur, dont le silence assourdit la communauté de la Gendarmerie, pourrait également l'instruire sur le catalogue des tâches qu'il confie à ces personnels et dont il dirige l'action au quotidien en fixant des objectifs précis et variés. Il faut le répéter, De quoi je me mêle ?
« Jamais la nature n'est si avilie que quand l'ignorance superstitieuse est armée du pouvoir. (Voltaire) »