Même si tout le monde dira que ce n'est pas un critère d'exclusion ou de discrimination, j'ai mon point de vue sur la question que je peux largement argumenter avec mon parcours. Je pense que certaines camarades se retrouveront dans ces quelques lignes.
Toujours bien notée, appréciée de mes chefs, plusieurs lettres de félicitations et primes au mérite (les dernières en 2017) attribuées, je ressens malgré tout une ''légère'' stagnation dans mon évolution professionnelle depuis que je me mets à l'avancement au grade d'adjudant. Étant à ma cinquième demande d'avancement, je constate que je recule tous les ans dans le fusionnement (c'est un classement annuel, du meilleur au moins bon). Mais que s'est-il passé au cours de ces cinq dernières années ?
Je suis affectée sur l'unité qui a sans doute la plus forte activité de mon groupement au prorata de l'effectif. Je fais mon travail d'Officier de Police Judiciaire avec sérieux, ce qui est souligné par mes notateurs successifs. Je prends même des astreintes opérationnelles de gradé de permanence. Aucune remarque défavorable ne m'a jamais été faite sur ma façon de servir, de travailler, de me comporter, on peut dire que je me fais remarquer dans le bon sens du terme. J'ai vu des camarades ayant obtenu l'O.P.J ou le grade de MDL/Chef en même temps que moi, promus au grade d'adjudant depuis plusieurs années, ou des moins anciens que moi dans le grade, passer devant moi dans le fusionnement, dont mon propre mari (il est très bon, ce n'est pas le sujet, mais quand même...).
Qu'ai-je bien pu faire pour descendre au fur et à mesure des années dans le fusionnement ? Je n'ai pas été mobile ? Je connais beaucoup de camarades qui ont passé de grade sur place sans problème. Et je précise que je suis arrivée dans mon affectation actuelle avec le grade de Chef. Je sortais d'une unité où j'étais commandant de brigade adjoint. La mobilité n'étant plus un critère pour ce grade, que se passe-t-il alors ? Ah oui je sais, les enfants. J'ai eu le malheur de faire trois enfants. En 2013, j'étais enceinte. En 2014 j'ai accouché puis encore enceinte quelques mois après, un nouvel accouchement en 2015. En 2016 j'ai fait une fausse couche. En 2017 je suis encore en « cloque », ne vous y trompez pas, certains parlent comme ça. En 2018, j'accouche de mon troisième bébé. Je n'ose imaginer mon prochain fusionnement. A 38 ans, après 17 ans de service dont 9 ans en célibat géographique, je pense avoir accepté les contraintes de mon métier. Je demande juste en retour à mon employeur d'accepter que je fonde une famille avant la quarantaine et de ne me pas me pénaliser sur l'avancée de ma carrière.
Je pense avoir trouvé la réponse à toutes mes interrogations. D'ailleurs, certains me l'avaient prédit. Et oui, tu es enceinte, tu ne passeras pas à l'avancement cette année. Au début je n'y croyais pas mais force est de constater qu'en 2013 j'étais à une place de passer de grade et qu'à présent, je suis dans le bas du tableau avec les AVP et les ASA (ces fameuses filières parallèles à l'avancement). Ça fait toujours plaisir pour un OPJ titre. Pourtant je connais des femmes qui sont passées à l'avancement dans certaines régions, alors qu'elles étaient enceintes. Cela me rassurait un peu. Je me disais qu'ils se trompaient, que la Gendarmerie (ma Gendarmerie) n'était pas comme ça, mais je pense maintenant qu'ils avaient raison. On m'a d'ailleurs fait comprendre que lorsqu'une femme décidait de faire des enfants, elle faisait un choix, soit sa carrière, soit sa famille. Et c'est une femme, officier de gendarmerie, qui me l'a expliqué, sans langue de bois. Cette discussion je la revis depuis des mois et elle m'a motivée à pousser ce coup de gueule, une sorte d'exutoire pour réveiller les consciences. Un homme qui met sa femme enceinte n'a pas à faire ce choix et j'y vois déjà une forme d'iniquité. Certains décideurs estiment-ils qu'une femme qui enfante a fait un choix dans sa vie et ne mérite donc pas d'évoluer dans sa carrière ? Pour quels motifs ? Parce qu'elle devient un boulet pour ses collègues comme certains le pensent, le disent tout haut (et oui, j'en ai entendu des choses...), parce qu'elle s'absente pendant ses congés de maternité ? Cela n'est-il pas discriminant ? Sachant qu'il existe une statistique sur le départ anticipée des femmes en gendarmerie avant la retraite parce qu'elles décident de favoriser leur vie de famille, n'y a-t-il pas des choses à faire remonter, à faire évoluer ? En gendarmerie on ne fait pas grand-chose pour améliorer les conditions des femmes qui ont des enfants. Elles ont signé un contrat, elles savaient où elles mettaient les pieds... ça je l'ai entendu aussi mais je ne suis plus élève-gendarme, sans enfant, avec une disponibilité accrue. J'ai fait le choix, et là on parle bien de choix, de rester sur le terrain et de mettre mes compétences au service de mon Institution et de la population. Je fais ce métier par conviction et par choix. Je n'ai pas choisi cette Institution pour finir en secrétariat qui est pourtant ma formation première. Je suis Gendarme ! Néanmoins, étant mariée à un gendarme opérationnel avec qui j'ai trois enfants en bas âge, il est aisément facile de comprendre que j'ai des obligations de maman. Mon investissement, mes sacrifices ne payent pas. Pourquoi ? Parce que j'ai pendant quelques années fait une parenthèse parentale qui m'a ''grillée'' à l'avancement sans motif légitime.
Alors peut-être envisagent-ils mon futur départ à la retraite, une retraite anticipée ? Et bien disons qu'ils font tout pour nous y pousser. En écrivant ce texte, je joue la transparence, je me livre, sans filtre, car je veux que le lecteur comprenne cette colère qui monte en moi. En 2018, j'ai l'intention de me faire ligaturer les trompes. Mon mari et moi avons décidé d'arrêter et vu que je tombe facilement enceinte, comme vous avez pu le constater, on prend nos précautions. Une attestation de cette intervention me permettrait-elle de ne plus descendre dans le fusionnement, de passer enfin le grade d'adjudant ? Je caricature ma réflexion au maximum mais c'est bien parce que certains décideurs ont une image caricaturale de la femme enceinte, de la femme mère de famille, de ce boulet qui n'est plus vraiment gendarme à leurs yeux. Il nous est régulièrement remonté à l'association le calvaire de certaines femmes enceintes qui se « tapent » planton sur planton, sans militaire armé pour filtrer ou les assister, qui ne finissent pas plus tôt le travail comme il est réglementairement prévu et qui arrivent épuisées en fin de grossesse. C'est inadmissible et dangereux pour l'enfant.
J'ai mis ma vie sentimentale de côté pendant des années (plus de 10 ans) pour évoluer favorablement dans mon travail, dans ma carrière. Il n'y avait que ça pour moi, au désespoir de mon conjoint de l'époque qui est désormais mon mari. Un jour, l'horloge biologique aidant, j'ai décidé de construire une famille comme tout le monde et là tout a changé, mais ça je ne pourrai jamais le prouver, le démontrer, il n'y a aucun recours, je peux juste l'exprimer par ce ressenti que certains jugeront comme subjectif mais c'est ma réalité, c'est une analyse froide et factuelle. Mon mari a interpellé mon Commandant de Groupement en début d'année sur le tableau d'avancement. Ses mots ont été que l'état de grossesse ne rentrait pas en ligne de compte, que ce serait discriminatoire... et là, je me pose encore plus de questions. Je ne me pose pas en victime, je suis heureuse dans ma vie de femme, de mère mais je tenais à apporter ce témoignage qui j'espère, éclairera certaine lanternes anachroniques.
« « Regardez une femme enceinte : vous croyez qu’elle traverse la rue ou qu’elle travaille ou même qu’elle vous parle. C’est faux. Elle pense à son bébé. » » Anna Gavalda
MDL/Chef MOREAU Emilie, membre du conseil d’administration d'AG&C