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Témoignage d’un « presque suicidé ».


Ce témoignage, qui a été transmis à la rédaction du magazine, est publié pour illustrer les nombreux actes d'autolyse de gendarmes, depuis le début de l'année 2018.

Je me présente, je m'appelle Simon et j'aurai 25 ans dans quelques mois. Sur le papier, je suis célibataire, mais je partage ma vie depuis 5 ans maintenant avec ma compagne, Juliette, (atteinte d'une maladie neurologique depuis deux ans). Je suis l’aîné d'une fratrie de trois enfants. J'ai deux sœurs, Mina, 21 ans et Julie, 18 ans.

Je n'ai pas d'enfant, mais un chat, miaulant (et non pas répondant, il en serait bien incapable) au nom de Garfield. Tout va bien au sein de mon entourage. J'ai des parents aimants et en bonne santé, fiers de leur aîné et présents pour lui (malgré les plus ou moins 500 km qui nous séparent). Je suis tonton de deux petits bouts de 2 ans et de quelques jours. Rien dans ma vie privée ne laissait prévoir des jours sombres. Je suis un « monsieur tout le monde ». En tout cas pour cette partie de ma vie.

En ce qui concerne l'autre partie, eh bien... je suis Gendarme.

Je n'ai d'ailleurs quasiment connu que la gendarmerie dans le monde du travail. Réserviste à l'âge de 19 ans, GAV à 21, sous-officier à 22, j'étais (et je le suis toujours) fier du métier que je fais. J'adhère vraiment aux valeurs de notre Institution. J’essaie toujours de me donner à fond dans ce que je fais au travail, que ce soit pour les nombreuses victimes qui viennent déposer plainte ou pour donner un coup de main aux camarades quand il y a besoin.

Concernant mes notations, elles ont toujours été bonnes... jusqu'à présent !

Je me plais dans ce que je fais, même si ce n'est pas un travail évident. Malgré les nombreuses astreintes avec son lot de réveils nocturnes, des heures parfois interminables, la population qui n'est pas toujours tendre avec nous, la pression souvent imposée par nos supérieurs hiérarchiques mais j’aime toujours autant mon métier.

Malgré cela, j'ai tenté de mettre fin à mes jours. Seul, dans mon logement de service, avec mon arme de dotation. Pour des « raisons personnelles » comme ils le disent si bien.

Mais je vais un peu vite dans le déroulement des faits.

Avant d'aller plus loin, remettons nous dans le contexte. Mon unité subissait un important manque d'effectifs. Des tensions sont nées entre différents gradés de la brigade. Ils ont commandé les uns après les autres puisqu'il n'y avait pas de commandant de brigade «officiel ». Naturellement, l'organisation du service laissait aussi à désirer.

Courant de l'année 2015

Jeune sous-officier sorti d'école de gendarmerie, j'incorpore ma nouvelle unité. Une petite brigade autonome de moins de 20 militaires. Mon intégration en son sein a connu des hauts et des bas. Peu sûr de moi à mes débuts, timide et étant un peu tête en l'air, j'essuie pas mal de remontrances, et je rédige à peu près autant de comptes rendus d'explications. Après quelques mois et une bonne remise en question de ma part, je parviens enfin à rentrer dans le moule et à faire un travail convenable. Mes supérieurs directs sont satisfaits des efforts que j'ai produits. Je n'entends plus de réflexions négatives à mon égard. Je commence à devenir un personnel sur lequel on peut compter. J'en suis très content, et ma manière de travailler s'en ressent. Je valide mon Certificat d'Aptitude Gendarmerie.

Puis arrive le jour ou un Commandant de Brigade prend ses fonctions, le major Dupont.

Selon lui, la compagnie lui a ordonné de remettre la brigade sur les rails car elle ne «tourne» pas correctement.

Fin de l'année 2016

Toujours dans ma dynamique positive, je réussis les tests physiques et les tests de tirs pour valider mon Certificat d'Aptitude Technique (CAT). N'étant pas un grand sportif, j'en ai été très fier. Selon les différents personnels de l'unité, je n'avais plus aucun souci à me faire - « Ton CAT, c'est dans la poche ! » me disent-ils.

J'ai pris ma première grosse claque à cette période.

Tout d'abord du côté privé. Ma compagne tombe malade. Dans ma famille, on la connaît bien cette maladie pour en avoir déjà quelques cas. Je sais donc à quoi m'attendre. J'encaisse le coup difficilement, mais je fais aller autant que je peux.

Puis dans la foulée, ça se gâte au niveau professionnel.

Le major Dupont me convoque dans son bureau, en présence de mon tuteur, l'adjudant Léon. Il m'explique qu'il ne peut pas valider mon CAT et qu'une période d'observation complémentaire de neuf mois m'est imposée. Selon lui, je ne fais pas assez preuve d'implication et d'initiative au sein de l'unité et je ne connais pas ma circonscription et ses acteurs.

Je suis recalé. Je n'arrive pas à y croire, mais surtout, je ne comprends pas.

Une fois l'entretien terminé, l'adjudant Léon me prend à part. Il ne comprend pas lui-même la décision du CB. Il me certifie que le major lui a demandé son avis pour la prolongation de la phase d'observation. L'adjudant lui a fait part de son désaccord avec la décision initiale. En effet, selon mon tuteur, j'étais un personnel compétent malgré ma faible expérience en gendarmerie. A son avis, je ne démériterai pas au CAT et je continuerai à gagner de l'expérience au fil du temps. Il me précise même que l'adjoint au commandant de la compagnie a contacté téléphoniquement le major pour confirmer sa décision et s'assurer qu'il n'y avait pas eu une erreur de sa part.

L'adjudant m'a demandé de faire tout ce qui m'était possible pour qu'à la fin des neuf mois, je valide les trois points qu'il me manquait pour avoir mon CAT.

Pour ce faire, j'apprends les noms et prénoms de tous les maires de toutes les communes de la circonscription de la brigade, je fais plus de police route (le major m'a promis une meilleure appréciation au niveau de mon implication et de mon initiative), et je continue à faire du mieux que je peux mon travail en autonomie. J'aide mes camarades lorsque le besoin s'en fait sentir. Quelques mois passent. Ma notation tombe. Je me prends le revers de la première claque. Elle est catastrophique. Un des points à améliorer me pique au vif : « ardeur au travail ».

« Ardeur au travail »... « Ardeur au travail ».... « Ardeur au travail » ! Ces mots n'arrêtent de tourner dans ma tête. Comment est-il possible d'avoir un critère « ardeur au travail » en point à améliorer en considérant justement mon travail. Je bosse sans compter mes heures pour me maintenir à flot dans mes procédures, je fais preuve de disponibilité auprès des OPJ lorsqu'ils sont littéralement seuls et qu'ils prennent une garde à vue à 18 heures, je reste tard le soir au bureau lorsque tous les autres rentrent chez eux, et même en position de quartier libre je ne les laisse pas seuls avec les mis en cause. Je bosse parfois entre midi et deux et autant après 20 heures le soir parce que mon CB me reproche d'être en retard dans mes procédures. Certes, j'en avais bien plus en cours que les autres personnels de l'unité mais aucune avec plus de 6 mois de retard. Je fais tout mon possible pour fournir des résultats en police de la route parce qu'on me le demande et je tente de bosser un maximum en autonomie pour ne pas fournir du travail supplémentaire aux autres.

Je vous passe le reste de l'appréciation. Mais ce que j'ai compris c'est que j'étais un fainéant, nul au travail qui devait « urgemment se remettre en question sous peine de redoubler une seconde fois sa période d'observation. » (sic)

Je me suis remis effectivement en question. Je me suis dit qu'il fallait que je démissionne, étant donné que vraisemblablement je ne faisais pas l'affaire. C'était sans compter sur le soutien de ma famille, de mes camarades d'unité, de mon tuteur (qui n'avait pas été mis au courant de cet avis de notation) et de mon commandant de compagnie qui profite d'un entretien individuel pour retoquer entièrement ma notation. Je n'étais d'ailleurs pas un cas isolé au sein de mon unité car bon nombre de notations ont été corrigées.

Le calme est revenu durant quelques mois.

J'ai pu passer gendarme de carrière en fin d'année. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le major me complimente, m'indique que je suis devenu un « élément de confiance » au sein de la brigade. L'accalmie est de courte durée.

Fin d'année 2017, l'adjudant Léon quitte la gendarmerie.

Le manque d'effectif de la brigade est comblé durant l'été par beaucoup de jeunes gendarmes sortis d'école. Le climat de la brigade se dégrade. Deux clans se forment. D'un côté les « anciens », de l'autre, les « jeunes ». Ne me sentant pas à l'aise dans cet environnement je décide de ne pas prendre parti pour l'un ou l'autre des deux clans. Je tente de m'improviser médiateur, car je n'ai aucun problème relationnel avec qui que ce soit dans la brigade, mais sans grand succès.

Je comprends rapidement que cette situation est vouée à l'échec et peut se retourner contre moi. De plus, depuis le départ de mon tuteur, le major recommence à me faire des réflexions sur ma manière de servir et sur mon travail en général. J'ai du mal à comprendre ce changement de comportement de sa part car je continue à fournir des efforts et un travail correct.

Étant de nature à me remettre en cause constamment, je questionne mes autres camarades (gradés comme « simples gendarmes ») sur ma manière d'être au quotidien.

Mes doutes sont levés lorsqu'on m'indique que je fais mon travail correctement et qu'il n'y a rien à redire sur mon comportement.

Malgré cela, les réflexions du major se font plus nombreuses et plus incisives. Je rentre souvent chez moi le soir en pleurs, à cause de réflexions vexantes qui ne me semblent pas fondées.

En plus des remarques, j'interviens sur des cas assez retors dans lesquelles je ne trouve pas le soutien nécessaire comme l'annonce pour la première fois d'un décès d'une jeune fille à ses parents. En trinôme avec deux réservistes, j'apprends à ses proches qu'elle a perdu la vie dans un accident de la circulation routière à l'étranger. La jeune fille avait l'âge de ma sœur. Transfert !

Je n'ai pas réussi à me confier à l'issue de l'intervention car j'avais la sensation que les militaires de la brigade fuyaient quand je voulais en parler. « Ah oui, c'est triste... » Et c'est tout. J'ai indiqué mon malaise au CB qui m'a répondu « Ben c'est le boulot, si une situation semblable devait se reproduire et que tu étais à nouveau PAM tu serais bien obligé d'y aller. »

Un autre cas m'ayant marqué est celui d'un contrôle d'un camp « sauvage » de gens du voyage, composé d'une soixantaine de caravanes pour environ 300 personnes. Elles s'installent et pour effectuer la mission je suis toujours en trinôme avec deux réservistes, tous deux issus du civil, comptabilisant 15 jours de renforts. Le major n'a pas voulu m'envoyer de personnel en plus, prétextant que je ne courrais aucun risque si j'étais courtois avec les occupants du camp. Je n'étais vraiment pas serein mais je me suis efforcé de réaliser le contrôle. Effectivement, il s'est déroulé sans accroc. Mais tout de même !

Les réflexions sur les retards de procédures reviennent à nouveau (toujours aucune de plus de six mois). Je travaille de plus en plus souvent entre midi et deux pour rattraper ce pseudo-retard. Le major en est témoin. Il finit par me demander d'arrêter de travailler sur la pause déjeuner et ne plus faire de bulletin de service car on pourrait lui demander des comptes. Ce n'est vraisemblablement pas suffisant pour lui puisque les réflexions continuent, et moi, je continue à travailler entre midi et deux, sans faire de BS. Des camarades me proposent leur aide pour clôturer des procédures simples. Malgré ces coups de pouce le major poursuit ses réflexions : « ouais t'as un peu avancé... mais parce que t'as eu de l'aide ». Je rentre chez moi de plus en plus tard, les nerfs à fleur de peau et les larmes coulent souvent. Juliette s’inquiète de me voir dans cet état. Elle me demande à plusieurs reprises de consulter un médecin et de me faire arrêter. Je refuse pour ne pas amputer la brigade d'un personnel et alourdir la charge de travail de mes camarades.

Je m'endors très difficilement. Je fais très souvent des crises d'angoisse et de panique et beaucoup de cauchemars. Je n'ai plus envie d'aller travailler et je vais au bureau à reculons (surtout lorsque le major est au service).

Début de l'année 2018

Je vais de plus en plus mal. Je n'arrive plus à gérer la pression constante et l'ambiance pesante au sein de mon unité. Je me confie à quelques-uns de mes camarades. Ils me conseillent de faire abstraction de tout ça, que ça va passer, qu'il faut que je courbe l'échine le temps que l'orage passe.

Mais moi je n'en peux plus. Je commence à m'alcooliser les soirs de repos pour dormir. Je perds pied et je sens que le contrôle de ma vie m'échappe. Les pleurs et les crises d'angoisse dus à l'ambiance malsaine au travail sont de plus en plus fréquents. Ma compagne continue à me soutenir du mieux qu'elle le peut et me pousse à me mettre en arrêt maladie. Je refuse toujours, par culpabilité.

Et puis vint le début du printemps.

Je passe une semaine de permission catastrophique. Malade pendant toute la période, il m'est impossible de me détacher du service et à l'idée de retourner travailler, mes angoisses reviennent. Je ressens cette fameuse « boule au ventre » avant de reprendre. J’enchaîne avec deux semaines horribles au travail. Les réflexions peu pertinentes émanant du CB me tombent dessus chaque jour.

- « Bah alors Simon, pendant que vous prenez votre café les procédures ça avance pas vite hein ? »

- « Bon aujourd'hui Simon je pars avec vous en patrouille, pour voir comment vous travaillez, parce que je ne comprends pas pourquoi vous ne ramenez pas plus de timbres amendes. »

J'avais également le droit à son contraire :

« Non mais arrêtez de verbaliser là, comment voulez-vous refaire du contact si vous verbalisez les gens comme ça ! »

Même chose pour les procédures. Un coup c'était bon, le lendemain ça ne l'était plus. J'avais l'impression de ne plus savoir faire mon travail.

Je ne savais plus quoi faire pour que mon travail soit jugé correct et satisfaisant par le major. Il me disait tout et son contraire, que ce soit sur ma manière d'effectuer mes patrouilles ou de gérer mes procédures.

Puis un soir, après une énième réflexion mal placée, je sens que je perds le contrôle. Je me retiens du mieux que je peux pour ne pas coller mon CB contre une porte de placard. Je suis psychologiquement à bout et un rien me fait craquer. Une autre fois, le major étant absent, j'expose mon ressentiment à des camarades, qui ont été témoins de la scène. Ils m'affirment que c'est vrai, qu'actuellement, le CB n'est vraiment pas facile à vivre. J'indique que je ne vais pas pouvoir tenir plus longtemps comme ça. La réponse qui m'est faite est : « tiens le coup, fais le dos rond, ça va passer. »

Je n'ai pas eu le courage d'attendre.

Deux jours après cet épisode, alors que je suis en quartier libre après-midi, puis en repos le lendemain et seul dans mon logement, je m'alcoolise assez fortement pour ne plus penser au travail et à mon mal être. Je n'arrive plus à réfléchir. La détresse m'envahit et je ne pense plus qu'à une chose, en finir pour ne plus souffrir et être serein

Je m'empare de mon arme de service chargée et place le canon sur ma tempe. Puis j'appuie sur la détente.

Je ne me rappelle pas du temps qu'a pris l'action. Mais je sais que j'ai appuyé sur la détente. Pas assez pour faire partir le coup cependant. Un éclair de lucidité a pris le dessus alors que j'étais proche du point de non-retour. J'ai pensé à Juliette, à mes parents, Mina, Julie, ma famille, à celui ou celle qui allait découvrir mon corps, à Garfield, en train de faire sa toilette à côté de moi. Et j'ai stoppé mon geste.

Sur ces entrefaites, je rédige une lettre d'adieu, « juste au cas où », que je me suis dit. J'explique pourquoi j'en suis arrivé là. Il n'y a pas eu de nouvelle tentative. Heureusement.

Après mes repos j'ai retravaillé deux jours. Je déambulais dans l'unité « au radar », je n'avais pas du tout la tête à ce que je faisais. A l'issue de ces deux jours, j'ai appelé ma mère, un soir. Je lui ai raconté que je n'allais vraiment pas bien, en pleurant comme jamais je n'ai pleuré. Je lui ai caché ma tentative de suicide. J'ai ensuite contacté le Président du Personnel Militaire (PPM) de la compagnie pour l'informer que je sollicitais un rendez-vous avec le médecin le lendemain afin de me voir prescrire un arrêt maladie. Je lui ai exposé également les raisons de mon arrêt. Cependant je me suis gardé d'expliquer que j'avais fait une tentative de suicide. En me confiant à lui, j'ai encore une fois beaucoup pleuré. J'ai pu avoir une oreille très attentive. Et, surprise, le PPM me dit qu'il comprend parfaitement ce que je ressens car tout ce que je lui raconte, il l'a vécu lui-même quelques années auparavant. J'étais soulagé que l'on me prenne au sérieux, que l'on ne me juge pas et que l'on ne me traite pas de « faible ». Mes plus grosses craintes étaient que l'on ne me croit pas ou que l'on me rejette la faute.

Le lendemain, je n'ai pas révélé ma tentative de suicide à mon médecin traitant, toujours par peur de ne pas être cru, par honte et par peur d'être jugé. Le médecin m'a arrêté 15 jours avec une prescription d’homéopathie pour traiter le stress.

A peine sorti de chez le praticien, je reçois l'appel d’un gendarme adjoint volontaire de mon unité. Sur ordre du major, il me demande de lui communiquer mon arrêt maladie le plus vite possible, sous peine de ne pouvoir le valider.

J'ai la boule au ventre. J'arrive à la brigade. Je bloque. Je suis tétanisé. Incapable de rentrer dans ce maudit bâtiment, incapable de faire face au major. Je culpabilise. J'appelle un camarade pour qu'il fasse l’intermédiaire. Je lui remets mon arrêt maladie, et je m'en vais le plus vite possible. Nouvelle crise d'angoisse.

Le lendemain, je réintègre mon arme à la chambre forte de la brigade et déclare à ceux qui sont présents : « c'est pour me protéger », sans en dire plus. J'ai une discussion rapide avec ces militaires qui n'ont pas compris ce qu'il m'arrivait.

-«Le major est furieux, il trouve que tu lui as manqué de respect hier pour ne pas lui avoir apporté ton arrêt maladie toi-même, ce n’est pas toi ça, qu'est-ce qu'il t'arrive ?? » ajoute l'un d'eux.

Ils n'ont rien vu venir. Ils ne pensaient pas que j'aurais pu faire un burn-out, moi qui étais toujours souriant, qui rigolais avec les autres, qui aidais tout le monde.

Eh oui, quand on veut cacher quelque chose, on sait s'y prendre. Je n'ai pas évoqué ma tentative de suicide non plus ce jour-là.

Puis, petit à petit, la parole s'est débloquée. J'ai tout avoué à ma compagne, mes parents, et au reste de ma famille. Juliette m'a conduit en urgence voir un psychiatre, qui m'a hospitalisé avec mon consentement. Ça a eu l'effet d'une bombe. Plusieurs personnes de ma famille (dont certains sont militaires) et de celle de ma compagne ont appelé le groupement, la compagnie et la brigade pour dénoncer ce que j'avais vécu.

J'ai donc passé deux mois en psychiatrie à me reconstruire petit à petit. A l'époque j'ai coupé tout lien avec la gendarmerie, pour me protéger et me permettre de me relever à mon rythme. J'apprends selon des rumeurs que le major a démissionné peu de temps avant qu'une enquête de commandement ne soit lancée.

La brigade a implosé : des bagarres ont failli éclater entre militaires de l'unité. Mon geste a créé une onde de choc incontrôlable que je n'avais pas imaginée.

Plusieurs mois ont passé depuis.

Je suis apte à reprendre le service externe et avec port de l'arme. Je suis toujours maintenu sous la surveillance de psychiatres militaire et civil.

J'ai repris contact avec ma hiérarchie et je suis muté prochainement dans une unité en dehors de mon groupement.

Actuellement, tout va beaucoup mieux pour moi. J'ai pris un recul énorme vis-à-vis de tout cela et j'ai pu me remettre plusieurs fois en question. Malgré ce qu'il m'est arrivé, j'ai toujours foi en ce que je fais et il me tarde de reprendre le travail. Cependant, je regrette énormément la tournure de mon geste. En ne pensant m'en prendre qu'à moi-même, j'ai fait souffrir beaucoup de monde, à commencer par ma famille.

Le point positif est que nos liens sont encore plus renforcés qu'avant. Mais j'ai aussi perdu la confiance de beaucoup de personnes, notamment celle de certains « collègues » qui m'ont rapidement tourné le dos.

Pour finir, je ne remercierai jamais assez toutes les personnes qui ont été là pour moi, pour me soutenir, et pour me faire remonter la pente, qu'il s'agisse de la famille, des gendarmes, du PPM ou du personnel médical et des médecins.

Par le biais de ce témoignage, j'aimerais aussi faire passer un message : tout d'abord à ces gendarmes, ces militaires, ces policiers, ces médecins etc etc...

À celui qui pense à mettre fin à leurs jours, qui vit un calvaire sur son lieu de travail ou peut-être même dans sa vie familiale, je dis, ne restez pas seul.

Parlez de votre mal-être, avec un professionnel de santé s'il le faut mais ne gardez pas tout pour vous. Vous risquez d'exploser (littéralement parfois) et faire souffrir tellement de gens. Si vous avez un problème relationnel avec une personne qui vous pourrit la vie, verbalisez-le avec cette personne. Et si rien ne change, montez plus haut. N'hésitez pas à vous faire aider, à vous arrêter même, si le besoin s'en fait sentir.

L'une des principales raisons qui m'a mené à tout ça, c'est que je n'ai pas su et pas pu dire ce que je ressentais réellement. Si je n'avais pas autant laissé faire, et si j'avais dit tout de suite les choses qui n'allaient pas, je n'en serais certainement pas arrivé à des extrémités.

Ensuite, j'adresse un message pour vous, les amis, les collègues, les camarades, les familles. Prêtez attention aux signaux de détresse, aussi faibles soient-ils, de vos proches. Parfois ces signaux sont l'arbre qui cache la forêt.

Pour terminer, ceux qui interprètent le suicide d'une personne par «c'est des raisons personnelles qui l'ont conduit à se donner la mort», sachez que le mal-être sur son lieu de travail est aussi une raison personnelle. C'était d'ailleurs ma raison personnelle numéro 1.

Un gendarme qui se donne la mort dans son logement de service, avec son arme de service, parfois même en tenue, ça a tout de même une symbolique forte. Rien n'est anodin dans un suicide de ce genre.

Un jeune gendarme de brigade sauvé in-extremis.

(Dans un souci d'anonymat, toutes les identités des personnes présentes dans ce récit ont été modifiées, ainsi que le nom du chat, à son express demande.)

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