Le sentiment de culpabilité, voila la solution trouvée pour pallier le manque d'effectif dans nos rangs. Qui n'a jamais connu ce sentiment ? Celui-là même qui se cache sournoisement derrière l'esprit de camaraderie. Ce truc que l'on vous inculque à votre insu dès votre entrée en école ! Ce principe que l'on vous rabâche sans arrêt comme étant le pilier, la base, le principe fondamental de notre institution. Mais attention, ne vous y trompez pas ! Derrière cette mise en exergue de l’esprit de camaraderie se cache une manière bien rodée de pallier les manquements de nos gouvernants !
Combien d'entre nous n'ont jamais été confrontés à ce sentiment qui vous envahit lorsque se présente le problème du service. Te voila désigné officier de police judiciaire de permanence la nuit mais aussi planton le lendemain matin. S’il ne se passe rien, tout va bien. Mais si une galère arrive, une intervention à une heure du matin qui te tient en haleine jusqu’à quatre heures, que se passe-t-il ? Allo patron, je fais quoi ? Je prends ma récupération physiologique ? Dans ce cas c’est un de vos camarades qui prendra le planton à votre place à sept heures. Ah oui c'est vrai....il faut faire jouer l’esprit de camaraderie et prendre cette permanence. Et là, tu ramasses toute la journée et tu te tapes encore l'astreinte du soir ! Normal, tu es planton ! Et ensuite ? Tu enchaînes une journée de PAM (premier à marcher) avec une petite patrouille de nuit. Comme tu es un gars chanceux, dans une boutique qui tourne, et bien tu manges encore copieux ! Résultat ? Tu es sur les rotules mais tu as eu l'esprit de camaraderie ! Tu sais, ce truc qui n'existe nulle part ailleurs qu'en Gendarmerie ! La où dans toute autre administration, le fonctionnaire aurait dit : " Quoi ? Je viens de bosser trois heures de nuit en astreinte et vous voulez que je sois à huit heures au bureau? » Le même gars d'ailleurs à qui on ne l'aurait même pas demandé puisque, étant de permanence la nuit, il n'était pas prévu à travailler le lendemain ! Ben oui, faut être doué d’une intelligence réduite pour mettre un homme de permanence la nuit et le prévoir à travailler le lendemain matin ! Chez les civils ou les fonctionnaires, on ne connaît pas ce genre de service. Mais c'est vrai, ils n'ont pas l'esprit de camaraderie eux ! Non, ils ont juste assez d'effectif et ce genre de situation est impensable dans leur milieu. D'ailleurs, la plupart n'ont même pas conscience que cela puisse exister, et quand tu leur en parles, ils te regardent comme si tu étais un extra-terrestre et ne peuvent s’empêcher de te dire " mais comment tu peux accepter cela ? Ah mais tu dois avoir une sacrée prime alors ? " Et bien non....même pas ! J'ai l'esprit de camaraderie c'est tout !
Voila comment nos grands chefs ont détourné le problème du manque de personnel. Laissons donc les commandants de brigades gérer cela ! Mais voila, ces responsables n'ont pas de baguette magique, et à force, ils se résignent à entrer dans le moule. Ils vous disent, pleins de conviction, que c'est l'esprit de camaraderie qui fait la différence !! Le pire dans tout cela, c'est que si vous osez ramer à contre courant et dire " non ! Je prends ma descendance de nuit, la suite n’est pas mon problème !! ", Le reste de la troupe va vous prendre en grippe ! Evidemment, ils vont devoir faire votre boulot ! Et c'est la que tout le monde se trompe ! Le véritable esprit de camaraderie serait d'être solidaire à ce " NON " ! De faire entendre une seule voix qui dirait : " Et là ? Comment on fait ? On est obligé de mettre un gars de permanence de nuit alors qu'il est prévu de nouveau sur un service majeur le lendemain ! Mais si tu montres ainsi une autre forme d'esprit de camaraderie, on va te targuer d’être un syndicaliste ! Mon dieu ! Le mot qu'il ne faut pas prononcer ! Le mot interdit ! Merde ! me v'la avec l'étiquette d'Arlette sur le dos ! Ca va devenir compliqué pour moi car, pour le coup, mes grands chefs vont avoir l'esprit de camaraderie pour me faire la vie dure......
Pourtant même entre chefs il arrive que certains font montre d’un certain esprit de camaraderie pour soulager leurs collègues officiers, six mois consécutifs de permanence avec trois week-end de repos. Quel héros! Pétardées les vacances estivales avec la famille, tu marches comme un zombie et c'est là que tu risques plus que jamais de prendre une mauvaise décision... Après on te regarde avec admiration : houa!!! Tu acceptes l'inconcevable puisque de toute façon, ça ne peut tenir autrement. Le risque se réalise forcément et on entretient un sentiment de culpabilité qui te pousse à la déraison pour la plus grande tranquillité de la hiérarchie.
C'est aussi comme ça que tu expliques pourquoi nous aidons toujours la police et jamais l'inverse : pas plus que nous, ils n'ont l'effectif nécessaire. Par contre, ils sont culturellement (et syndicalement?) protégés contre la culpabilité (et je ne généralise pas en disant « l'esprit de camaraderie », ce serait les priver d'humanité et je pense qu’ils en sont dotés comme les gendarmes).
C’est bon de retrouver Arlette en caricature drôle qui permet de dire tant de choses qu’un gendarme n'oserait pas exprimer.
Je suis Arlette.
Thierry G.