top of page

Vis ma vie de civil en Gendarmerie


Cela doit remonter à 2016 ou 2017, la dernière fois où j’ai rédigé un texte pour APNM Gendarmes et Citoyens afin de m’exprimer personnellement. Cela concernait le fameux Logement Concédé par Nécessité Absolue de Service et les conditions de vie dans ce dernier en famille. Rien d’extraordinaire en soit pour ceux qui me connaissent, du factuel comme d’habitude… Je ne suis pas réputé dans le sérail pour m'épancher émotionnellement, les milliers de gendarmes et leur famille ayant eu affaire à moi depuis une décennie lors des saisines à l’APNM peuvent en témoigner. Néanmoins je voulais partager par écrit ce ressenti que nous avons, par dizaines de milliers, nous les parents, les enfants, les conjoints et amis de l’engagement au service de la Gendarmerie de nos proches.


Dans la vie en caserne nous sommes nombreux à avoir vécu de bien drôles de choses. J’ai le souvenir, à la fin des années 2000, d’un adjudant-chef dans un groupement Francilien usant de son grade pour privatiser des places de parking dans la caserne et où son épouse civile n’avait aucune gêne à balancer devant la foule que ma voix ne comptait pas et que je ne devais pas la ramener. Ou bien ce patron d’EDSR sortant la nuit, hors service, pour roder dans l’enceinte militaire afin de contrôler l’usure des pneumatiques des voitures des actives et de leur famille - en général ceux dont il avait entendu du mal le matin en salle café - pour les menacer ensuite de procès-verbaux divers ou de sanctions disciplinaires, avec au passage le chapelet de quolibets habituels. Après bientôt quatre décennies de vie en GIE je pourrais en raconter des tomes mais là n’est pas l’objet. Alors venons-en au fait !


Le 13 février 2023 notre porte-parole, le fameux capitaine Marc ROLLANG, a été de nouveau sollicité par les médias pour expliquer, avec pédagogie, en quoi consiste le travail d’un policier ou d’un gendarme enquêteur à la suite d’un accident de la route, avec diverses circonstances aggravantes, ainsi que la procédure pénale en général dans ce cadre. Pour la faire simple, un plateau TV débattant de la dramatique affaire « Palmade ». Dans mes recommandations préalables j’avais indiqué à celui-ci qu’il était important d’avoir une pensée d’abord pour les victimes et leur famille mais aussi pour les intervenants toujours oubliés, policiers et gendarmes. Ces humains, ces citoyens, ces parents, ces fils/filles, ces frères et sœurs qui chaque jour par centaines font face à l’épouvantable, font face à la mort dans des circonstances bien pires que les plus « trashs » des séries à succès pavées d’effets spéciaux (The Walking Dead, GOT…) et qui rentrent le soir diner avec les enfants comme si rien ne s’était passé, non par manque de sentiment ou moins d’émotion que les autres, juste parce que c’est le prix de l’engagement, d’une certaine forme de principes et de valeurs.

Cet après-midi là, Alain Marschall et Olivier Truchot n’auront pas permis à notre porte-parole d’exprimer cette pensée. Les impératifs du direct ! Ce n’est pas grave. Nous pouvons le dire ici.


Après cette longue mise en matière, j’en viens au fait. Vis ma vie de civil en GIE !


Tu peux rencontrer le mépris des camarades, de ton conjoint et de leur époux/épouses calife à la place du calife, parfois celui de certaines autorités de l’Institution, calfeutrés confortablement au chaud dans un beau et grand bureau avec machine à café privative mais in fine, de la prise de service jusqu’au retour au domicile familial, l’anxieux solitaire c’est toi ! Ce soir mon copain, mari, épouse ou appelez ça comme vous voulez est premier à marcher (PAM) ou BGE pour les modernes (cette fameuse escroquerie qui éloigne le gendarme de la population locale) et il peut tout arriver. Les médiocres appellent cela les risques du métier et je cite pour exemple « le maçon aussi il peut tomber de l’échelle » donc « stop ouin ouin y’a pas kevou ». J’ai du respect pour tous mes contemporains mais le maçon il n’aura pas à compter les bouts de cervelle d’une jolie petite fille de 11 ans percutée par un automobiliste cocaïnomane à 16 heures sur une départementale pour se retrouver 2 heures après auprès de sa propre fille du même âge. Répondre présent dans la vie de famille est le lot de tout le monde mais chez nous, civils en Gendarmerie, il y a ce prix en plus à payer. Ce prix des sentiments, des émotions, du ressenti du quotidien. Et enfin ce que le commun des mortels, comme je l’ai cité précédemment, appelle les « risques du métier », ces moments où en fonction du service tu sais que ton proche est au bord de la route et devient la cible volontaire de débiles en tout genre pour un téléphone au volant, pour quelques points sur un papier ou sur une opération sensible contre des mis en cause au casier judiciaire long comme mon organe. Nous savons et surtout nous ressentons dans le silence qu’à chaque moment ta vie peut basculer dans l’horreur.


Qui sait ce qu’est cette sensation du civil en gendarmerie d’un appel de son conjoint-conjointe ou d’un camarade de ce dernier pendant le service ? Ce sentiment avant de décrocher ? Blessures ? Pire ?


Avec le temps on fait comme eux, comme les actives, on développe une sorte de mode opératoire ou aucun sentiment ne transparait. Et puis le temps passe et cela devient la normalité. Pour autant c’est notre réalité du quotidien et sans présumer des difficultés d’autrui, dans chaque milieu professionnel, nous vivons avec cela. Ce n’est pas anodin et il y a des conséquences, ainsi va la vie de civil en Gendarmerie !


Les concerné(e)s se reconnaitront.


Jérémy Langlade

->CIVIL<-

Directeur de APNM Gendarmes et Citoyens

bottom of page